La rébellion anti-coloniale des femmes de l’Anlu

La rébellion anti-coloniale des femmes de l’Anlu

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Hello la famille, comment allez-vous ?

La Journée Internationale des femmes est célébrée chaque année le 8 mars depuis son officialisation par les Nations Unies en 1977. Au cours de celle-ci, un bilan doit être fait sur la situation des femmes, notamment en terme de respect de leurs droits.

En parlant du respect de droit des femmes, connaissez-vous les « Femmes de l’Anlu » ?

Si ce n’est pas encore le cas, vous êtes au bon endroit. Si c’est déjà  le cas, un rappel ne peut pas vous faire du mal, n’est-ce pas ? 

Sommaire :

  1. Qui sont les femmes de l’Anlu?
  2. Les prémisses de la rébellion
  3. Qu’est-ce que l’ « Anlu » ?
  4. La danse et le chant comme moyen de lutte

 

Qui sont les femmes de l’Anlu ? 

À la fin des années 50, des femmes Kom et Kedjom se sont mobilisées dans les fiefs de Kedjom Keku et Kedjom Ketinguh.

Durant trois ans, ces femmes, originaires de la province de Bamenda (région du Nord-Ouest) ont mené une rébellion, connue sous le nom de « Anlu rebellion ».1

Elles se sont révoltées contre l’ingérence de l’administration coloniale britannique dans l’agriculture et plus généralement contre toutes les personnes qui violaient le code moral Kom.2

En 1922, la Société des Nations (ancienne ONU) place la majorité du Kamerun (ancienne colonie allemande) sous un mandat français et une minorité sous un mandat britannique. La région où se situe les Bamenda Grassfields est appelée « British Southern Cameroons » (ou Sud-Cameroun britannique).

 

Les prémisses de la rébellion

Un événement clé de la révolte des femmes Anlu s’est produit le matin du 4 juillet 1958 dans le village de Njinikom. En effet, celles-ci sont informées par un membre du Conseil de l’autorité autochtone divisionnaire de Wum (WDNAC), l’enseignant local Bartholomew Chia K., de la décision du conseil d’approuver une loi qui ignorait une culture adaptée au contexte agricole local. Un groupe important de femmes s’est rassemblé devant la réunion du WDNAC pour protester. Avant même que la réunion du conseil ne soit ajournée, elles commencèrent leur protestation par des ululations et des cris.3

Les femmes de Njinikom, progressivement rejoints par celles de Kedjom, Belo, Fundong et d’autres villages, sont furieuses. À cet évènement s’ajoute, depuis plusieurs années, la subversion des pratiques agricoles traditionnelles par les autorités coloniales.

Afin de manifester leur colère, les femmes Kom et Kedjom organisent des révoltes dans différents villages de la région. Celles-ci se basent sur des modèles d’organisation pré-éxistants tels que l’Anlu des femmes Kom et le Fombuen des femmes Kedjom.4

 

Qu’est-ce que l’ « Anlu » ? 

L’Anlu, similaire au Fombuen ou au Keluh dans les communautés de Kedjom Keku et Ndofoumbgui de l’ethnie Aghem, implique des groupes de femmes qui s’organisent contre ceux qui violent certaines règles morales. Le mouvement était dirigé par deux femmes,  Fuam (appelée la reine) et Muana (appelée l’officier divisionnaire), qui sont devenues des acteurs politiques centraux de Kom.5

L’ostracisme s’est développé à la suite d’un ensemble d’infractions, considérées comme menaçant la vie de la communauté tels que l’insulte à la mère, l’abus physique d’une femme enceinte ou allaitante et l’inceste entre autres.

Bien que le pouvoir dans les communautés traditionnelles Kom soient majoritairement conservé par des hommes, lors de l’Anlu, ceux-ci ont été pratiquement impuissants et les chefs et conseils traditionnels ont été affaiblis.

Insultes, exhibition d’organes génitaux, défécation sur la propriété du délinquant faisaient partie des actions menées par ces femmes afin de mettre en évidence l’extrême gravité de l’infraction. En outre, celles-ci se sont vêtues d’haillons et de vignes traditionnelles, peints à la poudre de bois de camouflage rouge et à l’huile.

 

La danse et le chant comme moyen de lutte

À l’aide de danses et de chants, elles se mobilisaient afin que les commanditaires des infractions aient honte. Dans certains de leurs chants, les militantes de l’Anlu rendaient hommage à des chefs traditionnels Kom, Ndi Kuoh et Ngam Kuoh, qui, comme elles, avaient durement lutté pour protéger leurs terres. Dans celui ci-dessous, la bravoure des chefs contraste avec celles de Joseph Nkwain (alias Ndong Nyang) et C.K. Bartholomew (surnommé Ghajem), deux piliers du Kamerun National Congress (KNC) auquel elles étaient opposées :

« Ngam Kuoh repose sous terre, Non ! Il n’a pas vendu nos terres

Ndong Nyang est venu vendre nos terres.

Ngam Kuoh repose sous terre, Non ! I n’a pas vendu nos terres

Ghajem est venu vendre nos terres. »

Le verbe « se lu » en langue Kom signifie bannir, isoler ; en effet, les femmes de l’Anlu punissaient leurs victimes en les isolant du reste de la communauté.

Elles interféraient dans les rituels funéraires, exigeaient la fermeture des écoles, des tribunaux et des marchés, mettaient en place des barrages routiers, détruisaient et brûlaient des biens.

Elles perturberont, durant ces trois années, le pouvoir politique local et imposeront leurs voix par la force.7

Les femmes de la rébellion Anlu ont été une force cruciale dans la victoire du Kamerun National Democratic Party (KNDP) face au Kamerun National Congress (KNC) en 1961, qui a permis de rétablir l’ordre politique au moment de l’indépendance.5

Enfin, la forme traditionnelle et politique constitue la base symbolique des protestations des femmes Takembeng au Cameroun depuis les années 1990. Ces protestations dépassent les frontières ethniques et rassemblent des femmes de toute la région du Nord-Ouest dans des actions similaires à celle de l’Anlu.8

Comment vous pouvez le constater, il y’a beaucoup de femmes qui se sont battues pour le respect de leurs droits ainsi que pour l’indépendance du Cameroun. Peut-être serait-il temps d’arrêter de les invisibiliser ?

Bibliographie :

1TAILLY, Z, 2002, « À la recherche de la justice de genre : Leçons du passé en démêler les « nouveaux » dans le NEPAD ». 

2 MOUGOUÉ TCHOUTA Jacqueline-Bethel, 2008, « The Anlu Rebellion »

3 CORBYN Elowyn, 2011, « Cameroonian women use Anlu for social and political change »

4 SHANKLIN Eugenia, 1990,« Anlu Remembered: The Kom Women’s Rebellion of 1958–61 »

5 NKWI NCHOJI Paul, 1985, « Traditional female militancy in a modern context »

6 NKWI GAM Walter, « Voicing the Voiceless: Contributions to Closing Gaps in Cameroon History, 1958-2009 »

7 KAH KAM Henry,2011,« Women’s Resistance in Cameroon’s Western Grassfields: The Power of Symbols, Organization, and Leadership, 1957–1961. »

8 FONCHINGONG Charles C. & TANGA Pius T., 2007, « The Takumbeng and Activism in Cameroon’s Democratic Crusade »

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D.E.S

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