Ernest Ouandié, dernier leader indépendantiste de l’UPC

Ernest Ouandié, dernier leader indépendantiste de l’UPC

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Mbē lá ! Yáá mà lāhā ? [Salut ! Comment ça va ? en langue nufi (=fe’efe’e)]. Tout va bien de mon côté.

On se retrouve aujourd’hui pour parler d’une personne pour qui j’ai un profond respect. Il est l’un des derniers leaders indépendantistes, au sein de l’UPC (rappelez-vous : Union des Populations du Cameroun), qui a dédié sa vie à la lutte pour l’indépendance de son pays. J’ai nommé Ernest Ouandié, exécuté il y’a précisément 50 ans. Voici son histoire. Tam dam.

« Notre volonté de lutte est inébranlable, nous connaissons aujourd’hui toutes sortes de sacrifices et d’humiliations, mais nous savons que cela débouchera inéluctablement vers un Kamerun libéré du néocolonialisme et de la gangrène impérialiste. »

Sommaire :

  1. Jeunesse & études
  2. Le début de vie politique d’Ernest Ouandié
  3. Le procès et l’exécution publique

Jeunesse & études

Ernest Ouandié naît en 1924 à Badoumla, arrondissement de Bana dans le Haut-Nkam (région de l’Ouest).

[Petit cours d’étymologie : « Badoumla » signifie « Peuple au dessus des villages » où « ba » veut dire peuple ; « doum », dessus et « la », village en langue locale, le nufi (= fe’efe’e)].

De 1933 à 1936, Ernest Ouandié est scolarisé à l’école publique de Bafoussam où il côtoie, pendant 3 ans, certaines futures têtes pensantes, dont Mathieu Tagny qui deviendra le président de la section du Nyong et Sanaga de l’UPC et Feyou de Happy qui sera dans les affaires politiques et de sécurité du premier président camerounais, Ahmadou Ahidjo.1

Après avoir étudié à l’école régionale de Dschang, son CEPE en poche, il entre à l’école primaire supérieure de Yaoundé où il obtient le diplôme des moniteurs indigènes (DMI) en novembre 1943.

Il épousa en première noce Njila (fille de Diffo Petko) avec laquelle il eut un enfant qui mourut en bas âge, avant leur divorce.

Le début de vie politique

Ernest Ouandié est un enseignant dans le secteur public dont la carrière sera marquée d’innombrables affectations disciplinaires du fait de ses convictions politiques. Entre 1944 et 1948, il enseigne dans la ville d’Édéa (région du Littoral) où il milite au sein de l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC), affiliée à la CGT française.

Il se marie en secondes noces, dans la ville de Douala, le 5 décembre 1948, avec Marthe Eding Ouandié. Cinq enfants sont issus de cette union : Philippe, Mireille, Irène, Monique et Ruben Um Nyobè.

Toujours en 1948, il est affecté dans la ville de Dschang (Ouest) puis à Douala (Littoral) où il devient directeur de l’école publique du quartier New Bell.

En 1952, il est élu vice-président de l’UPC et dirige le journal upéciste « La Voix du Cameroun » au deuxième congrès de l’UPC à Éséka. Il est affecté à Doumé (Est) puis Yoko (Centre) où il implante l’UPC. Les affectations s’accentuent avec le danger qu’Ernest court.

En 1955, l’administration coloniale française interdit l’UPC. Ernest, ainsi ses compagnons dont Félix-Roland Moumié, Abel Kingué et d’autres prennent le chemin de l’exil vers le Cameroun occidentale (= »britannique »). Deux ans plus tard, le parti de l’UPC est interdit dans cette partie du pays. Ils sont déportés successivement à Khartoum, Le Caire, Conakry et Accra.

Le 1er janvier 1960, le Cameroun français devient indépendant. À la suite de l’assassinat de Félix Moumié le 3 novembre, il lui succède à la présidence de l’UPC et devient l’homme à abattre.

Le 21 juillet 1961, Ernest fait son retour clandestin au Cameroun et prend les commandes de l’armée de libération nationale du Kamerun (ALNK), branche armée de l’UPC qui organisa la résistance clandestine anticoloniale dans les régions du Sud, de l’Est et de l’Ouest entre 1959 et 1971. Il revendique « l’abrogation des accords franco-camerounais et des dispositions mettant en vacances toutes les libertés politiques, le retrait des troupes étrangères et autres techniciens militaires, l’amnistie générale inconditionnelle pour tous les faits et condamnations se rapportant à la situation politique depuis 1955, la dissolution immédiatedes institutions actuelles et le retour devant les électeurs. »

Le 13 septembre 1962, Ernest préside dans le maquis une assemblée populaire qu’il a convoquée. Deux décisions sont prises : la création du Comité révolutionnaire appelé « Comité de front » comme direction provisoire de l’UPC et celle d’un État-major de l’ALNK. En 1963, il organise une deuxième assemblée pour confirmer la première. Il met également en place une école de cadres du parti sous maquis pour former les combattants et un centre de soins. 2

Si vous voulez suivre le témoignage de Matthieu Djassep (dit « Ben Bella »), maquisard* et secrétaire particulier d’Ernest Ouandié : https://youtu.be/6304MwEaFCo

Le procès et l’exécution publique

Le 19 août 1970, il est arrêté à Mbanga, dans le Moungo et est conduit dans les locaux de la Brigade Mixte mobile à Kondengui, près de Yaoundé.3

Il comparaîtra devant le tribunal militaire de Yaoundé en compagnie de Mgr Albert Ndongmo et de 26 coprévenus fin décembre 1970 lors du dit « procès de la rébellion ». (Il faut savoir que Mgr Ndongmo, à travers ses prêches, critiquait le fonctionnement du gouvernement en place. Du fait de sa popularité, le président l’a désigné comme intermédiaire avec Ernest Ouandié pour organiser sa reddition quelque années plus tôt).

Le 5 janvier 1971, le verdict est prononcé : certains sont relaxés, d’autres condamnés à plusieurs années de prison ; Ernest Ouandié, Matthieu Djassep et Raphaël Fotsing (maquisard et agent de liaison entre Ouandié et Mgr Ndongmo) sont condamnés à mort.

Ernest Ouandié sera fusillé en place publique le 15 janvier 1971 à Bafoussam, avec le jeune Raphaël Fosting et Gabriel Tabeu dit « Wambo le Courant », condamné à mort le 6 janvier lors du second procès ouvert contre Mgr Ndongmo.4

Ceci est un extrait de « Du Maquisard au Héros national fusillé » par Rebecca Tickle pour Mediapart1 :

« Après la première salve, on entend la voix d’Ernest Ouandié crier « Que vive le Cameroun », et il tombe, criblé de balles, aux côtés de Gabriel Tabeu alias Wambo le Courant, et du jeune Raphaël Fotsing. Un officier européen se détache de l’assistance, s’approche de Ouandié mourant, s’agenouille auprès de lui, met la main à son étui de revolver, se penche en avant et tire à bout portant. »

Reposant au cimetière de l’église protestante de Bafoussam, il sera réhabilité en 1991 par l’Assemblée Nationale du Cameroun et proclamé Héros National selon la loi n°91/022 du 16 décembre 1991.

Hors mariage, il aura eu au moins trois enfants ; dont une fille prénommée Ernestine, née à Lagos, au Nigeria, le 11 mai 1961, d’une mère ghanéenne qu’il avait connue lors de son exil à Accra. Celle-ci sera retrouvée morte à Foumbot (département du Noun), en octobre 2009.5

Sa veuve Marthe, est décédé à 95 ans, le 15 avril 2016, en son domicile de Bonabéri, un quartier de la ville de Douala.3

Comme vous avez pu le constater, Ernest Ouandié était un homme dont les convictions et la forte personnalité se sont formées dès le plus jeune âge. Il, ainsi que ses compagnons de lutte, s’est battu pour l’indépendance de son pays jusqu’à la fin quoi qu’il en coûtait.

En espérant vous en avoir appris davantage sur cet illustre personnage mais également sur ses conditions de lutte et celles de ses compagnons, à la semaine prochaine.

Bibliographie :

  1. ENGO Didier Joël, « Cameroun : le leader indépendantiste Ernest Ouandié était exécuté à Bafoussam il y a 45 ans », 15 janvier 2016, Mediapart
  2. DJASSEP Matthieu, « Qui était Ernest Ouandié ? Témoignage exclusif de Djassep Matthieu », 15 janvier 2020, Journal du Cameroun TV
  3. DELTOMBE Thomas, DOMERGUE Manuel, TATSITA Jacob, 2019, « Kamerun ! », La Découverte
  4. KAMGA KAMGA Louis, « Ernest Ouandié », 6 octobre 2016, Éditions l’Harmattan
  5. « La fille d’Ernest Ouandié n’est plus »,  Journal Du Cameroun

*Maquisard : membre du maquis. Lorsque le parti de l’UPC fut interdit, les indépendantistes, hommes comme femmes, ont été contraints de se retrancher dans les maquis pour pouvoir continuer leur lutte. Par maquis, comprenez des régions peu peuplées, des forêts ou des montagnes.

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D.E.S

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