
Marthe Moumié, militante anti-colonianiste et indépendantiste
Le 9 janvier 2009, le Cameroun perdait l’une des martyrs de sa libération.
Félix Moumié, figure emblématique de la lutte pour l’indépendance du Cameroun, n’est plus à présenter. Mais… connaissez-vous sa femme ? Marthe Moumié, née Ekemeyong, est également une des figures anticolonialistes et indépendantistes camerounaises.
Voici son histoire. Tam dam.
Sommaire :
- Marthe Ekemeyong, la brillante jeune fille
- Marthe Moumié, une militante hors pair
- 3 novembre 1960 : le décès de Félix
- L’après-libération, ses œuvres
- La fin d’une vie activement militante
Marthe Ekemeyong, la brillante jeune fille
« Ekemeyong » qui signifie littéralement « celle qui quittera le terroir pour vivre chez les autres » est le nom que s’est vue attribué la jeune Marthe, un 4 septembre 1931 à Ebom Essawo dans la région du Sud du Cameroun. Elle est bonne élève et termine son cursus scolaire à Lolodorf avec brio.
Lors de sa seizième année, elle fait la rencontre de Félix Roland Moumié, un jeune médecin diplômé de l’école normale William Ponty à Dakar (Sénégal). Ils scellent leur union le 22 juillet 1950 à Lolodorf, où Félix a été muté après son retour au pays.
De cette union naquirent deux filles, Annie Jecky Berthe et Hellen Jeanne.
L’adhésion de Marthe et de son mari à l’ « Union du peuple camerounais » (UPC) marque le début de leur lutte conjointe.
En effet, Félix est l’un des fondateurs de ce parti politique qui oeuvre pour l’indépendance du Cameroun.1
Marthe Moumié, une militante hors pair
Marthe n’est âgée que de 18 printemps lorsqu’elle devient l’une des femmes politiques les plus influentes du pays et dirige l’Union démocratique des femmes camerounaises (UDEFEC), un parti politique féminin qui agit de concert avec l’UPC. 2
En 1955, elle fait partie de la première promotion qui intègre l’école exécutive de l’UPC. Au cours du mois de mai, de violentes émeutes, orchestrées par l’administration coloniale française, éclatent dans plusieurs villes du pays. Celles-ci firent de nombreux morts et blessés. S’en suivra la dissolution de l’UPC mais aussi de l’UDEFEC par un décret de l’administration. 3
Les activités des membres de l’UPC dérangent : ils sont contraints de les mener dans la clandestinité. Le couple Moumié, victime de plusieurs tentatives d’assassinat, décide de se réfugier à Kumba dans le Cameroun britannique. En 1957, ils sont arrêtés avec onze autres militants et conduits à Limbé, ancienne « Victoria ».4
Après leur libération, le groupe s’exile en Égypte puis arrive au Ghana en 1959. Félix et Marthe seront conviés à la session plénière panafricaniste « All African People’s Conference » par Kwame Krumah à Accra, où Marthe, seule femme à prendre la parole, se fera remarquer pour son brillant discours. La destination finale sera Conakry, en Guinée, où ils poursuivront les activités de l’UPC, déterminés à libérer le Cameroun et l’Afrique du joug colonial.5
3 novembre 1960 : le décès de Félix
En 1960, Félix s’envole vers Genève pour les besoins du parti. C’est à la radio que Marthe apprendra le décès de son époux, survenu le 3 novembre. Après en avoir appris les circonstances, empoisonnement au thallium par l’agent secret français William Bechtel, elle décide de porter plainte et demande le rapatriement du corps de Félix à Conakry, ce qu’elle va obtenir.
La lutte continue. Ses nombreux déplacements la conduiront en Guinée équatoriale où elle fit la rencontre du militant équato-guinéen Atanasio Ndongo Miyone qui lutte contre les colons espagnols dans son pays et avec qui elle va se marier. En 1966, ils décollent pour l’Algérie, Atanasio étant devenu un des leaders anti-impérialistes reconnus au niveau international. Il va tenter de mener un coup d’état en 1969 à Bata, en Guinée Équatoriale, où il sera exécuté. Marthe est immédiatement arrêtée et placée en détention.
Expulsée au Cameroun, alors qu’elle avait demandé à retourner à Conakry, elle est, dès son arrivée, conduite à la Brigade mixte mobile de Yaoundé, dirigée par Jean Fochivé, dirigeant des services du renseignement camerounais. Elle est libérée en 1974 sous la pression internationale.
Le 3 octobre 2004, elle visite la tombe de Félix au cimetière de Conakry et constate que le cercueil a été profané.6
L’après-libération, ses oeuvres
Elle témoigne dans le film « Mort à Genève, L’Assassinat de Félix Moumié » de Frank Garbel (2005), un documentaire qui retrace les derniers jours de son défunt mari jusqu’à son assassinat en 1960.
Elle avait entrepris, lors de son vivant, de créer la Fondation Félix Roland Moumié qui est toujours active.7
En 2006, à 75 ans, Marthe Moumié publie l’essai « Victime du colonialisme français, mon mari Félix Moumié ». L’ouvrage est préfacé par Ahmed Ben Bella, premier président d’Algérie. Elle y raconte notamment comment, elle a été torturée en Guinée équatoriale voisine puis au Cameroun pendant plus de 5 ans.
Elle a déclaré lors de la publication de son œuvre :
« Mon souhait est que cette histoire, qui est aussi celle de l’Union des Populations du Cameroun et de la lutte anticolonialiste dans plusieurs pays africains, soit connue de la jeunesse africaine et européenne ».
La fin d’une vie activement militante
Dans la nuit du 7 au 8 janvier 2009, elle est violée, étranglée et assassinée dans son domicile à Ebolowa, à l’âge de 77 ans. Elle sera inhumée le 31 sur sa terre natale, à Ebom Essawo. Son décès tragique est à l’image de sa vie ; pleine de persécutions.
Son combat symbolise le sacrifice des femmes pour la liberté et la dignité des siens et de son continent.8
Connaissiez-vous son histoire ? Dites-le moi en commentaire !
Bibliographie :
1 Ph. D., 14 février 1966, « 1960 : Félix Moumié, leader de la révolution camerounaise est empoisonné à Genève », Le Monde
2, 8 Samuel MACK-KIT, « Marthe Moumié, la « fidèle combattante » inhumée à Ebom Essawo », PeupleSawa
3 Noé Ndjebet Massoussi, 28 mai 2008, « Cameroun : une si lourde dette », Le Messager
4,5 Natou Pedro Sakombi, « Marthe Ekemeyong Moumie, une héroïne de conviction », Reines Héroïnes d’Afrique
6 René Hamm, « Nécrologie : Marthe Ekemeyong Moumié, une anticolonialiste camerounaise », Alternative Libertaire
7 Chindji Kouleu, 2006, « Histoire cachée du Cameroun », Éditions SAAGRA
Ouch ! Je connais certes son histoire mais je ne savais pas qu’elle est décédée dans de circonstances aussi violentes. Beau billet tout de même, beaucoup de courage pour la suite !
C’est vrai que cela été très violent…
Merci beaucoup !